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Petite initiation au Credo

14 décembre 2012

Jeudi soir, le P. François RENARD a donné une catéchèse sur le Credo comme l'avait demandé le Pape Benoit XVI dans sa lettre sur l'Année de la Foi. vous pouvez retrouver les grandes lignes ici de cette catéchèse.

 

 

INITIATION AU CREDO


EN GUISE DE PROLOGUE

Le 11 octobre dernier, Benoît XVI a lancé l’Année de la Foi. Une belle occasion de se demander, mais au fond : à quoi au juste croient les chrétiens ?
Cette question, beaucoup d’incroyants se la posent, mal dans leur peau parce qu’ils ne trouvent de sens ni à eux-mêmes, ni à ce qu’ils font, ni à ceux qu’ils aiment. Cette même question, des croyants aussi, de plus en plus nombreux, se la posent. Certains, très anxieux du «dépôt qu’il faut garder » (1 Tim. 6, 20), sont déroutés par les remises en question, les négations peut-être légères, les formulations nouvelles, les réinterprétations diverses de ce qu’ils estimaient être « la saine doctrine « (1 Tim. 1, 10, etc.). Ils réclament une sécurité, un plancher solide et stable, c’est-à-dire un exposé auquel on puisse faire confiance. Ils demandent quel est « le contenu » de la foi, ce qu’on doit croire absolument, ce qu’on peut « laisser tomber » ? Qu’est-ce qui est sûr, moins sûr, pas sûr ?...
D’autres sont conscients que la foi est moins un lot de croyances qu’un lien personnel et vital avec Jésus Christ. Ils ne sont pas indifférents, loin de là, à un inventaire exact, clair et complet des « objets » de la foi, des « vérités à croire » ; mais ils souhaitent un gros plan sur l’essentiel. Les jeunes surtout se demandent chaque jour davantage quel est le noyau solide, irréductible, de la foi. Entendez par « noyau », non ce morceau résistant, immangeable, et qu’on laisse dans l’assiette, mais ce noyau dynamique, explosif de vie, fait pour être planté en terre, parce qu’un grand arbre y est programmé. Leur question : quelle est la Bonne Nouvelle à vivre ? La Bonne Nouvelle à crier sur les toits aux hommes d’aujourd’hui ?
« Aux hommes d’aujourd’hui », car fatalement, « la foi s’exprime dans des formules liées à la culture d’une époque » (Mgr Matagrin). Du moins il devrait en être ainsi. Malheureusement, pour dire notre foi chrétienne, nous nous sommes accrochés à des mots, à des formules héritées d’un passé lointain. Pour dire le Dieu vivant, nous ne savons souvent utiliser qu’un langage mort. Résultat : l’homme du XXIe siècle ne comprend pas.
Il nous faut donc réinterpréter, redire la foi avec les images, les idées, le langage familier à notre région et à notre temps — un temps qui va vite — et avec les mots de tous les jours et de tout le monde. C’est ça « annoncer la Bonne Nouvelle à toutes les nations », celles d’aujourd’hui comme celles d’autrefois. C’est cela « prêcher l’Évangile à toute créature », même si elle n’a pas fait d’études, même et surtout si elle n’a pas la foi. Sinon, continuant le péché d’Israël, on réserve à quelques privilégiés l’Annonce destinée à tous.
« Que les prédicateurs de l’Évangile, disait le Père Karl Rahner, s’efforcent de proclamer la vieille foi orthodoxe de telle sorte qu’elle soit vraiment comprise par l’homme d’aujourd’hui. Qu’ils pensent, lorsqu’ils prêchent, non aux gens pieux ou sensés l’être qui sont assis sous la chaire, mais à ceux qui ne sont pas là, aux hésitants, aux incroyants, aux athées : à ceux qui le sont et à ceux qui croient l’être. »
« Dieu... Jésus-Christ »... Ce sont des Personnes. La foi n’est donc pas une nomenclature d’affirmations, de dogmes ; elle est la rencontre de Quelqu’un ; elle est l’entrée dans un Mystère.
Car un mystère n’est pas une porte fermée sur laquelle on bute. C’est au contraire une ouverture, une révélation, mais sur quelque chose de tellement grand qu’on n’a jamais fini d’en faire le tour. C’est comme si l’on se jetait à la mer pour la parcourir à la nage...
De « quelqu’un », on peut établir une étude scientifique : fiche signalétique, analyse morphologique, biochimique, médicale, étude graphologique, psychologique, psycha¬nalytique, etc... Cela donnera un dossier, avec un contenu exact et complet.
Mais aussi, de « quelqu’un », on peut faire la rencontre personnelle, humaine, dans la vie... Lier connaissance, faire ensemble un premier bout de chemin, nouer amitié... Cela pourra aboutir à un amour, à une foi donnée, à un mariage.
Dans le premier cas, on sait un tas de « choses » sur quelqu’un ; dans le second cas, on « connaît » quelqu’un et on l’aime... Quand il s’agit de Dieu, dans le premier cas, on fait de l’instruction religieuse, de la théologie plus ou moins poussée ; dans le second cas, on découvre un Amour, un Amour d’aujourd’hui, pour aujourd’hui, pour la vie, pour la mort, et pour l’éternité.
C’est dire combien il serait vain de dresser un contenu de la foi, un bilan de Dieu, si notre effort de foi n’est pas d’abord rencontre de Quelqu’un, de Quelqu’un mani¬festé dans notre vie, dans notre histoire, dans notre expérience d’homme,... de Quelqu’un aussi qui réponde à l’incroyant dans son inquiétude, son tourment, son interrogation vitale.
Par commodité, nous suivrons, le fil du Symbole des Apôtres. L’ordre de ses articles suit sensiblement le déroulement de l’Histoire du Salut. Mais d’abord, qu’est-ce qu’un symbole ?
Dans l’Antiquité, entre hôtes, amis, associés, commerçants, on avait coutume de casser ou de briser un objet quelconque — pièce de monnaie, jeton, cachet, tablette —et de s’en répartir les morceaux. Chacun conservait son fragment qui, seul, correspondait exactement aux autres. Plus tard, même après des années, les morceaux, rassemblés, permettaient de se reconnaître lors d’une rencontre, ou de rappeler un engagement, ou d’authentifier un messager envoyé en délégation. Ce fragment-témoin était un signe de reconnaissance, comme un mot de passe ou une pièce d’identité. On l’appelait un « symbole », parce que, grâce à lui, on « remettait ensemble » les morceaux, et les gens se « reconnaissaient » même s’ils ne se connaissaient pas.
Notre « Je crois en Dieu » est appelé « Symbole » parce qu’il est, de même, comme le mot de passe, le signe de reconnaissance et d’unité entre chrétiens. Il est dit Symbole « des Apôtres » parce que cette « règle de la vérité » remonte substantiellement aux temps apostoliques, sans doute au second siècle, comme en témoigne déjà un commentaire de saint Irénée (115-203 environ).
Il s’est rapidement imposé dans sa forme actuelle à tout l’Occident chrétien.
Le Symbole de Nicée - Constantinople, que nous chantons ou récitons aux messes des dimanches et fêtes, est un symbole baptismal d’Orient, remanié par les conciles généraux dont il porte le nom, pour fixer la doctrine authentique contre des erreurs portant sur le mystère de la Trinité et la divinité de Jésus Christ. C’est pourquoi ce Credo contient certaines formulations abstraites et difficiles qui en font par endroits, comme on l’a dit, un « Credo pour évêques ».
Notre Symbole des Apôtres est un Credo « baptismal ». C’est-à-dire que, dès les premiers siècles et jusqu’à nos jours, il constitue la Profession de foi du nouveau croyant que l’Église va baptiser « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ». C’est donc un Credo initial : un Credo de débutant.
Au cours du carême, après cinq semaines d’instruction, les catéchumènes, c’est-à-dire les candidats au baptême, « recevaient » le Symbole. Cette « remise » du Symbole avait lieu au cours d’une cérémonie solennelle. L’évêque leur recommandait de l’apprendre par cœur. Ce « par cœur » qui excluait toute trace écrite pouvait être une précaution utile au temps des persécutions. C’était surtout — et c’est toujours — la continuation de la Tradition « orale » de l’Église.
Il nous est bon de retrouver ainsi la pédagogie séculaire de l’Église. Elle est progrès et vie. Car c’est de vie qu’il s’agit dans notre Credo, et de rien d’autre de la Vie de Dieu dans la vie des hommes, et inversement, de la vie des hommes dans la Vie de Dieu. Celui qui dit le Symbole n’aligne pas des idées abstraites : Dieu, Création, Incarnation, Rédemption, Résurrection, Ascension, Eschatologie (science des fins dernières de l’homme et du monde). Tout au contraire, il évoque des Personnes, des faits, une histoire, les « gestes de Dieu », depuis la Création jusqu’à la fin des temps, avec des verbes actifs dont notre Dieu est le sujet « Je crois en Dieu, le Père... et en son Fils, qui est né, a souffert sous Ponce Pilate, est mort, est ressuscité, est monté aux Cieux... d’où il viendra... Je crois au Saint Esprit... » Au centre de tout, la mort et la résurrection de Jésus Christ.

DES CICATRICES...


Il ne manque pas de « cicatrices » dans le texte du Credo, dans telle ou telle formule. Ainsi, en voici trois exemples dans le symbole de Nicée-Constantinople :
• À propos de Jésus-Christ, il y est dit qu’il est « engendré non pas créé ». Cette formulation renvoie à un débat autour de ce que l’on appelle l’hérésie d’Arius. Il faut arriver à dire que Jésus-Christ, comme Fils de Dieu, n’est pas seulement fils comme n’importe quel homme : de toute éternité, il y a en Dieu lui-même un rapport de Père à Fils, un Fils que l’on dira ainsi « engendré non pas créé » pour marquer la différence.
• Ou encore, quand il est dit du Saint-Esprit qu’ « avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire », c’est la trace cette fois d’un débat au 4ème siècle, dans le temps qui sépare le concile de Nicée de celui de Constantinople, à propos de la reconnaissance de la divinité du Saint-Esprit comme personne en Dieu. On veut marquer contre les « pneumatomaques », mot grec qui pourrait se traduire par « ceux qui combattent l’Esprit », cette idée que l’Esprit est égal en divinité au Père et au Fils.
• La formule enfin qui dit : « Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés » réagit contre les « anabaptistes », ceux qui voulaient que l’on rebaptise les chrétiens issus d’une secte ou d’une hérésie chrétienne.


UN PEU D’HISTOIRE


Dans l’Église latine (ou l’Église d’Occident distinguée des Églises d’Orient), deux textes du Credo sont en usage dans la liturgie : le Symbole des Apôtres et le symbole de Nicée-Constantinople.
Le Symbole des Apôtres est plus court. Son contenu représente à ce point la foi apostolique, qu’une légende du 5ème siècle le divisait en douze articles, dont chacun était attribué à un apôtre. En fait la structure générale de ce symbole s’est constituée au cours des 2ème et 3ème siècles, à Rome, en lien avec la célébration du baptême. La forme la plus ancienne est un dialogue entre le catéchumène et le célébrant : Crois-tu en Dieu le Père tout-puissant ? - Je crois. Crois-tu en Jésus-Christ le Fils de Dieu ? - Je crois. Crois-tu au Saint-Esprit ? - Je crois. À chaque réponse le catéchumène était plongé dans l’eau. Au 3ème siècle, la formule a reçu des ajouts dans la partie centrale sur le Christ ; puis on a explicité la partie sur le Saint-Esprit. Dès le 4ème siècle, le texte était continu et non plus dialogué. Cette profession de foi baptismale romaine se répand alors dans tout l’Occident, d’où quelques petites modifications. Finalement, Charlemagne imposa dans tout son empire un texte, appuyé sur le vieux texte romain et qui avait reçu sa forme définitive en Gaule. Ce texte revint à Rome, avec ses ajouts, pour y être adopté officiellement au 9ème siècle.

Le Symbole de Nicée-Constantinople est la reprise par les Pères du concile de Constantinople de 381 du symbole du 1er concile de Nicée de 325, utilisant une formule orientale déjà existante. Il développe plus que les autres qui l’ont précédé, l’article sur le Saint-Esprit, « Seigneur », et « qui vivifie ». D’abord symbole baptismal de l’Orient, on le retrouve au 5ème siècle dans la liturgie orientale, au 9ème dans les églises franques, au 11ème siècle à Rome.


À LA SOURCE...


Parmi les plus anciennes formules de confession de foi, sans doute faut-il citer le Credo que saint Paul, lui-même, cite dans sa première Lettre aux Corinthiens (1 CO 15, 1-7) , pour l’avoir entendu dans l’une des communautés qu’il a fréquen-tées, peut-être celle d’Antioche:
« Je vous rappelle, frères, l’Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, auquel vous restez attachés, et par lequel vous serez sauvés si vous le retenez tel que je vous l’ai annoncé ; autrement, vous auriez cru en vain. Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais reçu moi-même. Christ est, mort pour nos péchés, selon les Écritures. Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les écritures. Il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois ; la plupart sont encore vivants et quelques-uns sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres... » (1 Co 15,1-7).
On saisit ici comment les récits de la tradition orale, qui seront repris par les évangiles, demeurent le noyau des confessions de foi, avant qu’une réflexion ne vienne expliciter ce qui deviendra le dogme, pour la nécessité d’une communication dans des cercles de plus en plus larges, et pour que le témoignage sur ce qui s’est passé ne se perde pas.


UN TEXTE TRÈS CONSTRUIT


Il faut prêter attention à la construction même du Credo, qui n’est pas une suite de formules sans ordre.
Il y a d’abord le début et la fin : « Je crois »... et « Amen ». Je crois, en latin : Credo. Tel est le premier aspect de la foi : l’engagement personnel d’un sujet, impliqué dans ce qu’il va dire. Personne ne peut dire à la place d’un autre cette phrase-là. J’ai confiance, et cela m’engage, c’est plein de conséquences pour moi. Quand je vais dire en qui ou en quoi je crois ou j’ai confiance, je vais révéler où est mon trésor et où est mon cœur.
En même temps, autre point d’attention, ce « je » qui dit « je crois », c’est à la fois chacun et l’assemblée, qui s’exprime au singulier comme un seul homme. Chacun, car l’acte de foi est un acte personnel, le plus personnel qui soit ; et tous, car ce n’est pas un acte individualiste : je crois avec l’assemblée et avec l’Église à laquelle je fais confiance.
Mais à la fin il y a ce mot très important : « Amen ». Ce terme vient de l’hébreu, et renvoie à l’idée du rocher, du sol résistant, à partir duquel la foi est solide. Amen, cela veut dire : c’est sûr, c’est du costaud, je puis croire parce que c’est appuyé d’abord sur Dieu, ce qu’il est, ce qu’il fait, ce qu’il dit. Cela exprime le second aspect de la foi, son objectivité si l’on veut, à condition de ne pas trop chosifier ce que l’on entend par là, car Dieu n’est pas un « objet » que nous aurions sous la main.


• Je crois en qui ?


En Dieu. Là, nous sommes au centre : d’un bout à l’autre, il va s’agir de lui. Mais nous sommes invités à faire la différence. Je ne crois pas en Dieu comme en « quelque chose » de vague et d’indéfinissable qui serait au-dessus de nous. En tant que chrétien, je crois en Dieu comme Père, comme Fils et comme Esprit, ce qui correspond aux trois grandes parties du Credo.


• Dieu Père, Fils et Esprit


Dieu est Père et nous le disons à partir de la création qui est bonne. Ce n’est pas rien de reconnaître ou de confesser Dieu fondamentalement comme amour, ce qui chasse nos peurs liées à toutes nos imaginations d’un Dieu redoutable ou lié à notre mauvaise conscience. Le récit de ce premier article est bref : la création.
Mais il faut le rapporter évidemment au second concernant le Fils : c’est à partir de la manière dont Jésus se tourne vers son Père que nous apprenons à nous tourner vers lui comme notre Père. Dieu en Jésus se révèle comme Fils, et cette fois le récit est développé : le Fils de Dieu s’est fait homme, il est mort et ressuscité pour nous, il reviendra.
Dieu est Esprit, et pour que cela soit perçu dans le concret, voilà qu’est raconté ce qu’il fait sans cesse et à quoi on le reconnaît à l’œuvre, dans l’Église, avec ses qualités, mais aussi dans la réconciliation des hommes et la « communion des saints », dans le pardon des péchés, dans la résurrection de la chair et la vie du monde à venir.

Finalement, croire, c’est partager la vie de Dieu comme il a partagé la nôtre. C’est vivre de l’Esprit d’amour, c’est imiter Jésus, c’est se tourner et se remettre en route vers le Père. Croire en Dieu ainsi, c’est, dans l’amour, une espérance et une tâche.


• « Profession de foi », « Confession de foi », « Symbole de foi »


Professer ou confesser sa foi, c’est reconnaître de manière déterminée Dieu comme il est, inspirant confiance. C’est aussi s’en réjouir et le célébrer. À l’origine, le Credo n’est pas une prière séparée, elle est toujours liée à la célébration joyeuse de l’Église, pendant un baptême ou une messe.


• Le Credo peut être lu «à l’endroit » et « à l’envers »


Dernière remarque importante : le Credo peut être lu « à l’endroit » et « à l’envers ». En quelque sorte, l’ordre de l’exposition est inverse de l’ordre de la découverte.
L’exposé se fait « à l’endroit » :
Je crois en Dieu, comme Père, comme Fils et comme Esprit. Celui qui dit les choses dans cet ordre doit d’abord avoir été initié, savoir de quoi il s’agit.
Mais l’ordre de la découverte est inverse. Partons d’abord de la vie des chrétiens. Ils sont animés de l’Esprit saint. Si vous leur demandez ce qui les fait vivre, l’Esprit en eux, leur fera parler de Jésus, de l’Évangile, de ses paroles et de ses actes. Car l’Esprit en eux, c’est l’Esprit de Jésus. Jésus, lui, renvoie à son tour à un autre, différent de lui, avec qui pourtant il ne fait qu’un, et dont il dit partager la vie, l’amour, le souffle : son Père.
Cette fois, tout le Credo est redécouvert, mais en faisant parcourir le chemin d’une expérience progressive, qui permet de le proclamer dans son ordre habituel.
Pour découvrir le Credo nous allons donc commencer par la fin, « à l’envers » :


JE CROIS EN L’ESPRIT SAINT


Pour la découverte ou la redécouverte du Credo, c’est donc de ce qui est dit du Saint-Esprit que nous pouvons repartir, en laissant pour le moment ce que recouvrent les différentes expressions sur l’Église (une, sainte, catholique, apostolique), sur la communion des saints et la rémission des péchés, la résurrection de la chair et la vie éternelle. Pour comprendre ce que signifie le mot « saint » dans Saint-Esprit, il faut toujours penser qu’il s’agit de l’Esprit dont vit Jésus et qui est bien l’Esprit de Dieu.
L’Esprit se reconnaît tout d’abord en ce qu’il transforme. Ne nous laissons pas prendre par l’usage courant du mot esprit, comme lorsqu’on parle des « esprits » en s’imaginant des êtres plus ou moins vaporeux, circulant comme des fantômes. Partons plutôt de ce que cela signifie de désigner l’homme, parmi tous les êtres du monde, comme étant le seul à être « esprit », à être tout ensemble charnel et spirituel, un être qui s’exprime et se réalise par le corps et par la parole. Parler d’Esprit à propos de Dieu, c’est alors mettre en valeur plusieurs aspects de sa présence et de son action, et donc de sa manière d’être.


• « Je crois en l’Esprit saint dans l’Église »


La formulation ancienne du Credo en son troisième article dit : « Je crois en l’Esprit saint dans l’Église ».
De ce point de vue, croire en l’Esprit saint c’est reconnaître chez ces gens que l’on appelle les chrétiens, malgré leurs défauts et leurs péchés, mais aussi chez les hommes de bonne volonté, quelque chose ressemblant à la manière de vivre de Jésus, quelque chose qui fait la différence et dont témoigne la qualité de leur vie, de leur espérance, de leur amour. Ce dernier point est essentiel contre toute invention et illusion : on ne découvre la foi que grâce aux autres, et en les entendant parler de Jésus.


JE CROIS EN JÉSUS-CHRIST


Tel est bien le point décisif : pour faire la différence, les chrétiens renvoient toujours à Jésus et invitent à le découvrir à travers les évangiles. Au début, on peut écrire esprit avec un petit “e”. Jésus ne vit pas avec un esprit de séduction ou de colère ; il a l’esprit clair en ce qui concerne le cœur des hommes ; il a l’esprit large et précis à la fois en ce qui concerne la loi. Puis on voit qu’il y a plus profond : « jamais homme n’a parlé comme cet homme » ; il se comporte avec autorité, tout comme les prophètes, par qui, pour les juifs, par¬lait l’Esprit de Dieu. Mais la différence chez lui, c’est qu’il n’y a pas d’écart entre ce qu’il dit, ce qu’il fait et ce qu’il est, sa manière d’être profonde tout entière. C’est cela qui surprend. Qui est-il ? Lui-même d’ailleurs retourne la question : « et vous, qui dites-vous que je suis?»
Cette question posée est en fin de compte celle du Messie attendu qui doit venir. Le mot « Messie » transcrit en français un terme hébreu, que la langue grecque rendait par « Christos », en français : « Christ ». Ces deux mots, « Messie » et « Christ », renvoient à une onction d’huile qui symbolisait dans le judaïsme ancien, pour les rois et pour les prêtres, l’imprégnation d’un homme par l’Esprit saint, par l’Esprit de Dieu, pour une vocation et une mission particulières. Ainsi, dire de Jésus qu’il est Christ, c’est le reconnaître comme Messie, celui qui d’une manière unique est imprégné de l’Esprit de Dieu, en sa personne et dans sa vie. Mais affirmer « Jésus est Christ », ou bien : « Jésus est Seigneur », va encore bien plus loin, puisqu’on reconnaît, à partir de sa résurrection, qu’il est Dieu lui-même, en la personne de son Fils, venu partager notre existence d’homme pour nous faire entrer dans sa vie divine avec notre humanité.
Il faut le souligner : Jésus-Christ n’est pas d’abord un nom propre, mais une confession de foi, le noyau du Credo d’une certaine manière. Celui qui devient croyant est invité à reconnaître ce paradoxe inouï : ce Jésus, qui a vécu comme l’un de nous et qui est mort crucifié, il est Christ, il est le Fils de Dieu, Dieu lui-même. Ou bien, inversement : le Seigneur, le Dieu éternel, vivant et vrai, est à reconnaître en cet homme, en ce crucifié.
Croire en chrétien, c’est ainsi d’abord croire en Jésus comme Christ. Et cela avec toutes les conséquences qui en découlent, notamment en ce qui concerne notre manière de nous représenter Dieu et de mener notre existence humaine.
En fin de compte, croire en Jésus-Christ n’est pas seulement se rattacher à une personne et à une histoire d’il y a deux mille ans. C’est aussi, tous les jours, reconnaître Dieu lié à notre humanité, à ce que nous sommes et devenons. C’est reconnaître que Dieu vient dans notre temps et dans notre histoire, celle de chacun et celle de l’humanité tout entière. Si Dieu s’est fait homme, c’est vivre autrement notre rapport à lui. Si Dieu lui-même partage ce qui fait notre vie, c’est vivre autrement le rapport à soi-même et aux autres.


JE CROIS EN DIEU


Un lycéen disait un jour à son aumônier : « Je ne crois pas en Dieu ». Il s’est attiré une réponse immédiate « Tu as bien raison, moi non plus. Du moins, je ne crois pas en n’importe quel “dieu”. Qu’est-ce que tu appelles “dieu” ? L’homme s’en est tellement fabriqués depuis l’époque des cavernes ! Des bons, des méchants, des beaux, des terribles. Des dieux pour tous usages : pour la pluie ou contre la foudre, pour faire la morale ou pour gagner la guerre... Sans parler des idoles de toutes sortes, quand l’imagination prolifère. Toi, qui refuses-tu en refusant “dieu” ? Si c’est un manque de liberté, la vraie, celle où l’on s’engage pour une vie meilleure et avec d’autres, si c’est un manque d’amour, tu as bien raison. Moi, je ne crois pas en « dieu », mais en Dieu le Père de Jésus-Christ, qui nous partage son Esprit de liberté et d’amour...
Ce serait bien triste de réciter le Credo mécaniquement, sans voir sa construction, et sa force percutante. La confession de foi chrétienne à propos de Dieu a une forme, qui reflète la manière d’être de Dieu en lui-même et sa manière d’agir pour nous. Sa manière d’être en lui-même : un seul Dieu, mais Père, Fils et Esprit. Sa manière d’agir pour nous : il crée, il sauve, il mène à leur accomplissement le monde et les hommes.
Le texte du Credo est ainsi tissé comme avec la trame et la chaîne d’un fil trinitaire et d’un fil historique. Il nous ramène ainsi sans cesse à Dieu, si différent de ce que nous aurions pu penser, et notre histoire qui pourrait en être transformée, si nous vivions conformément à ce qui est proclamé.
Proclamer : « Credo », « Je crois », c’est affirmer qu’on veut suivre Jésus et imiter la manière qu’a Dieu d’être humain en Jésus-Christ. C’est commencer à s’orienter différemment, sur un chemin qui est ouvert et praticable avec d’autres. C’est retrouver la profon¬deur du présent, en accueillant toute une mémoire pour un autre avenir. C’est enfin découvrir combien nous sommes reliés et solidaires entre nous et avec Dieu.
Cette fois, je vous propose de lire le Credo dans son ordre habituel : « je crois en Dieu, un seul Dieu, vivant et vrai, mais un Dieu qui est Père, Fils et Esprit ». Un Dieu qui s’énonce en même temps dans l’histoire des hommes, en faisant de cette histoire une Alliance, à l’intérieur de laquelle il se montre comme Créateur, comme Sauveur, comme celui enfin qui désire mener toutes choses à leur accomplissement.


JE CROIS EN DIEU LE PÈRE TOUT-PUISSANT


À propos de Dieu, il y a deux sortes de problèmes. D’abord, de la préhistoire à nos jours, et sur les cinq continents, celui de la mentalité religieuse des sociétés traditionnelles. Aspect premier, profond, durable, de l’humanité, avec ses richesses mais aussi ses ambiguïtés, la religion traduit le débat qui n’en finira pas entre l’homme et ce qui le dépasse. La Bible a affaire avec ce monde-là et Dieu s’y fait reconnaître comme Dieu unique, vivant et vrai.
Il est le Dieu unique, c’est-à-dire qu’il ne doit pas être confondu avec la multitude des idoles et des dieux des mythologies qui ne font que refléter les désirs, les peurs et les besoins des hommes.
Il est le Dieu vivant, c’est-à-dire qu’il est la source et le terme de toute vie, Il n’aime ni la mort ni la violence qui y conduit, et il souhaite que la création, comme l’histoire humaine, réussisse et aboutisse à la vie.
Il est le Dieu vrai, c’est-à-dire qu’en lui est toute la vérité et qu’il ne trompe jamais.
Dire « je crois en Dieu », c’est d’abord dire : j’ai confiance en ce Dieu-là, différent et unique, appelant à la vie, inspirant justice et amour.
Mais l’affirmation : « Je crois en Dieu », dans le Credo, va plus loin dans la mesure où est également affirmée la foi en Dieu qui est Père, Fils, et Esprit. Cela veut dire en effet : je crois en Dieu le Père de Jésus-Christ qui nous donne de vivre son Esprit d’amour. Cette foi ou cette confiance éclaire définitivement le style de vie qu’appelait déjà le moment précédent. J’ai confiance en Dieu com¬me un fils en un Père qui est bon et qui n’a de cesse de me faire partager sa joie. Du même mouvement me voici appelé à vivre en frère, sans barrière aucune à cette fraternité. Croire, c’est alors aimer, Dieu et les autres, en fils et en frère, comme dans la croix il y a la verticale et l’horizontale, nouées ; et c’est espérer en étant appuyés au jour le jour sur du solide.
Un autre problème est davantage lié à l’homme occidental moderne. Depuis quatre siècles environ, il a été amené, pour faciliter sa vie matérielle, à développer tout particulièrement son pouvoir sur les choses grâce à ses découvertes scientifiques et aux applications techniques qui en découlent. Mais il s’est tellement préoccupé de sa vie pratique que la question de Dieu lui est devenue souvent indifférente, comme si tout cela faisait partie d’une histoire ancienne.
Or nous vivons au moment précis où l’homme moderne redécouvre combien il est actuel et urgent d’oser maintenir ouverte la question de Dieu comme décisive. Car il ne s’agit pas simplement de s’occuper d’objets. Il faudrait permettre à chaque homme de s’épanouir et de devenir plus humain... alors que l’état du monde n’est pas très bon. Non seulement le progrès ne profite pas à tous, mais la haine, la violence, l’injustice ne sont pas guéries, la faim, la guerre, l’ignorance sont toujours là. Le fond du problème est bien de chercher le sens de cette vie afin d’avoir des points de repère solides pour utiliser notre puissance d’une façon bénéfique à tous, au lieu de nous en servir, comme c’est trop souvent le cas.
Le premier article du Credo confesse Dieu comme Père, tout-puissant, créateur. Les mots sont familiers, presque trop, et l’on risque de les réciter mécaniquement, sans prêter attention à leur force. Car cet article, bref, est pourtant construit.
On part de l’origine au-delà de laquelle il n’y a pas à remonter : Dieu comme Père, rien qu’amour, amour débordant, Père de son Fils qui est de même nature que lui, et Père par adoption de tous les hommes. En un seul petit mot, le moins mauvais qui soit, et surtout celui qu’emploie Jésus quand il prie, tout cela se trouve rassemblé.
Avant de dire : « Père ! » à Dieu, il y a beaucoup de chemin à faire. Quiconque a tâché de l’expliquer à un enfant qui a des rapports difficiles avec son propre père s’en est rendu compte. Nous-mêmes d’ailleurs, quel que soit notre rapport au père, sommes confrontés dans notre inconscient, dans la construction de notre personnalité, aux images de la loi. Nous risquons toujours, aux prises avec notre mauvaise conscience, et alors même qu’il s’agit bien de devenir responsables de notre vie, de confondre « Dieu » avec un souverain justicier ou un super gendarme. Cela met mal à l’aise, alors qu’en réalité il s’agit d’apprendre à dire : « Père » comme Jésus l’a fait, sans peur, et en nous situant autrement par rapport à la loi, en sachant que Dieu nous demande d’abord d’être en route avant d’être en règle.
Dire : « Père » demande de placer au centre l’attitude simple du fils qui se sait aimé le premier et pour lui-même, d’un amour qui le déborde, le met au large et en relation, rend à chacun et à tous leur dignité et leur solidarité. Ainsi, c’est dans l’invocation « Père » dans la prière, que la désignation de Dieu comme Père s’approfondit et se clarifie.
« Tout-puissant » aussi a besoin d’être bien compris, et le Credo le fait superbement. Car le fantasme de toute-puissance, surtout appliqué à Dieu, est fort dangereux pour la foi. Nous risquons d’imaginer un despote aux volontés arbitraires ; pire encore, nous pouvons nous laisser aller plus ou moins consciemment, à avoir peur de Dieu comme de celui qui tient dans sa main d’une façon équiva¬lente notre vie et notre mort, et peut nous envoyer la maladie, la souffrance, la mort. Peut-être bien que cette idée de Dieu est celle qui a, plus que toute autre, toujours besoin d’être convertie et évangélisée.
L’adjectif « tout-puissant » est soigneusement encadré : si Dieu est tout-puissant, c’est exclusivement comme un Père, selon une puissance d’amour et de bonté, et comme créateur d’une création qui est bonne. D’ailleurs, la mention, par le Credo, de la croix de Jésus continue aussi de retourner notre première idée de la puissance de Dieu, on va y revenir. C’est par amour, et pour la vie, « qu’à Dieu tout est possible ». La puissance de Dieu n’est pas magique, et elle n’est pas le contraire de la grandeur de l’homme : elle est ce qui donne et restaure sans cesse en nous la liberté et la capacité d’aimer.
« Créateur » : voilà encore un mot qui est un faux ami. Car nous confondons sans cesse création et commencement ; et par suite, Dieu lui-même avec on ne sait quelle « soupe » de matière originelle dans laquelle se produirait un big-bang. Mais Dieu n’est ni la matière ou l’énergie présente en tout élément du cosmos, ni quelque vie diffuse, celle dont parle le biologiste. Et ce qui se dit en nommant Dieu comme créa¬teur ne concerne pas seulement le passé mais chaque instant.
« Créateur de... » : l’expression désigne à la fois le lien et la différence entre Dieu et le monde. Dieu n’est pas une partie, et encore moins le tout du monde. Il est autre, tout l’en ayant voulu, désiré, dans sa différence et sa consis¬tance propres. Il crée le monde et l’homme vraiment autres que lui, avec leurs nécessités et leurs puissances propres, pour se réjouir du lien qu’il veut entretenir avec eux dans cette différence.
En créant l’homme, Dieu ne fabrique pas des marionnettes, Il ne faudrait pas imaginer que Dieu fait tout et l’homme rien : Dieu crée des êtres réellement libres et responsables de leur vie et de leur univers. Mais l’homme n’est pas abandonné pour autant car il peut toujours compter sur la lumière et l’amour de son Créateur qui va sans cesse l’aider à devenir, à son tour et dans sa propre existence, créateur.


JE CROIS EN JÉSUS-CHRIST SON FILS UNIQUE


L’important, c’est le tiret entre Jésus et Christ. Jésus est le nom propre d’une personne précise, singulière, située dans l’histoire : un Juif d’il y a deux mille ans qui dans sa vie publique a eu un comportement et la manière de parler d’un prophète. Il a prêché la proximité du Royaume de Dieu, en a donné des signes en guérissant des malades, en nourrissant des foules, en pardonnant les péchés. Il est entré en débat avec les responsables, civils et religieux, de son peuple, à propos de la Loi, du Temple, des questions vitales pour eux, à propos aussi de son rapport à Dieu. Puis il a subi un procès, a été crucifié, est mort, a été enseveli. Enfin ses disciples ont attesté qu’il était vivant, ressuscité d’entre les morts. En tout cas il s’agit de cet homme, Jésus, à propos duquel il y a débat, avant et après sa mort, pour savoir s’il est vraiment le Christ.
Christ n’est pas un nom propre, mais un nom de fonction : « oint », d’une onction d’huile (chrestos, en grec), comme le sauveur (ou le Messie, quand on traduit le terme hébreu). L’histoire de l’attente du Messie en Israël est compliquée. Au temps de Jésus, selon les groupes, les attentes sont différentes : un messie guerrier qui jettera l’occupant à la mer, pour les Zélotes; un messie pieux qui réta-blira l’observance de la Loi pour les Pharisiens; ou bien un prêtre qui purifiera le temple des grands-prêtres collaborant avec l’ennemi, pour les Esséniens, etc. Mais le Messie, pour tous, à la fois sera tout à fait unique, et d’autre part complètement solidaire de son peuple. D’autre part, les temps messianiques seront ceux où adviendra le Règne de Dieu, dans un temps qui sera celui du salut, c’est-à-dire de la guérison et de la réconciliation, de la paix et de la justice. Enfin il parlera et agira avec autorité au nom de Dieu.
Pour les chrétiens, Jésus est le Messie en personne, celui qui accomplit cette attente et cette espérance. Mais ce Messie est un Messie crucifié qui ouvre à un nouvel avenir.
En affirmant : « Je crois en Jésus-Christ », j’affirme également que je reconnais Dieu lui-même à l’œuvre, faisant irruption dans mon histoire et venant faire corps avec ce que je deviens, dans la joie comme dans l’épreuve, par son Fils et par son Souffle.


LE FILS UNIQUE NOTRE SEIGNEUR


Jésus-Christ, le Fils unique : trois aspects du « mystère » de la foi sont ici à commenter.
Premier aspect : à partir de Jésus se découvre, et c’est inouï, qu’il y a en Dieu « l’être-fils ». Dieu comme puissant, comme créateur, comme père, cela paraît tout à fait acceptable pour le croyant. Mais le problème se complique lorsqu’on affirme que Dieu est également fils ! Être fils, c’est se rece¬voir d’un autre, et cette relation se trouve en Dieu ; elle s’y trouve en personne. Voilà qui peut nous dérouter et nous toucher. Cette relation d’amour entre le Père et le Fils nous est manifestée par Jésus. Le Fils s’est fait homme ; il a partagé notre condition limitée et notre humble existence afin de nous montrer, sur un visage humain, combien Dieu est amour.
Deuxième aspect : Jésus est le Fils unique. Il n’est ni un super-homme, ni un demi-dieu, ni simplement un génie ou un fondateur de religion comme tant d’autres, ni un homme si exemplaire qu’il aurait mérité une apothéose. Non, il est le cas unique dans notre humanité d’un homme totalement homme qui est également totalement Dieu ; Dieu lui-même qui s’est fait l’un de nous en la personne de son Fils. En même temps, il est rappelé aussitôt que c’est « pour notre salut », ce qui veut signifier que nous sommes adoptés comme fils par ce Père dont il nous dit que c’est son Père et notre Père. Il s’est associé jusqu’au bout à notre condition pour que nous soyons associés jusqu’au bout à la sienne. Fils unique, il s’est fait, au prix de sa vie, « le premier-né d’une multitude de frères ».
Enfin, troisième aspect : nous devons pouvoir dire en quelques mots simples comment Dieu, pour les chrétiens, est un seul Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et l’Esprit. Une image va nous y aider. Il n’y a qu’un seul verbe aimer, comme il n’y a qu’un seul Dieu. Mais il y a un premier geste, originaire, en deçà de quoi il n’y a pas vraiment amour, et c’est donner, ce qui correspond, dirons-nous, au geste du Père. Mais il y a un autre geste dans aimer, qui correspond à donner, et c’est recevoir ou accueillir; et telle est bien l’attitude foncière du Fils. Et il y a enfin un troisième geste, qui est toujours aimer, et qui conjugue dans le même mouvement donner et accueillir, et c’est : partager, ce qui est bien le geste en Dieu de l’amour, du don et de l’échange, le geste de l’Esprit, qui est l’Esprit du Père et du Fils.


CONÇU DU SAINT-ESPRIT, NÉ DE LA VIERGE MARIE.


Parmi les énoncés de foi, ces deux-là sont parmi ceux qui font le plus problème pour nous aujourd’hui. Mais nous posons à leur propos des questions qui n’étaient pas celles des premiers chrétiens, et notre attention s’en trouve détournée.
En effet, notre question la plus immédiate est celle du « comment ? ». Au lieu de cela, il faudrait plutôt regarder la signification profonde dans les évangiles. La conception virginale de Jésus, tout comme l’épisode du tombeau vide, placés à l’origine et à la fin de sa vie, veulent marquer la différence radicale de Jésus. Face à l’extrême réalisme du fait qu’il a été conçu, qu’il est né, et qu’il a été crucifié, est mort et a été enseveli, il faut tenir sans faiblir le paradoxe en même temps : il vient de Dieu et non de l’homme, et il retourne à Dieu... Quand ils ont témoigné de cela, ne demandons pas aux premiers chrétiens d’imaginer les questions que se poseront toutes les générations postérieures.
Sans oublier non plus de relever que la virginité n’était pas plus honorée dans le judaïsme palestinien qu’elle ne l’est dans la plupart des sociétés traditionnelles, davantage sensibles à la fécondité et à la lignée, ou qu’elle ne l’est dans la modernité occidentale. On remarquera aussi la sobriété du Credo à propos de la Vierge Marie : on a ici une mention unique à son propos et qui se contente de la désigner comme celle de qui est né Jésus-Christ.
Le plus important, à propos de Marie, est de la voir comme celle qui a cru, qui a fait confiance de tout son être à Dieu. Et cela avec une telle simplicité et une telle transparence qu’il a pu, par elle, prendre chair et se faire l’un de nous. Marie, au bout de l’attente de l’Ancien Testament, est bien la Mère du Sauveur. Elle est enfin, en ce qui lui arrive, comme avec ses qualités propres, la figure de l’Église que cette dernière doit imiter.


JE CROIS EN JÉSUS-CHRIST MORT ET RESSUSCITÉ


Quelle insistance dans le Credo sur la passion de Jésus, alors que rien n’a été dit de sa vie : sont mentionnés la souffrance, la croix, la mort, la mise au tombeau. Le cas est même unique : Ponce-Pilate, un païen, est nommé, qui permet de situer et dater l’événement. En fait, il n’y a là rien de morbide. Aujourd’hui encore, il est bon, pour nous comme pour les premiers chrétiens, de nous rappeler que Jésus n’a pas seulement « paru » souffrir et mourir, mais qu’il a réellement partagé jusque-là notre condition; de rappeler aussi que Jésus ressuscité n’est pas « là-bas », « chez Dieu », sans y être avec son humanité.
Si les croyants regardent de si près la passion et la mort de Jésus, c’est qu’elle révèle (comme n’importe quel moment de crise dans nos existences) la logique habituelle de toute sa vie, de sa manière d’être jusqu’au bout. Sa mort en elle-même est scandaleuse, comme le meurtre d’un innocent. La manière dont Jésus l’affronte, et surtout sa non-violence radicale, en donne le sens : un don, redoublé en pardon.
Évidemment, la mort de Jésus ne doit pas être considérée séparément de sa résurrection. Ce pourrait être désespérant si tout s’arrêtait là. Inversement, si Jésus n’était pas vraiment passé par la mort, la résurrection pourrait être une illusion. Mais en ne séparant pas les deux, trois aspects de Dieu apparaissent définitivement. D’abord son amour pour l’homme est sans limite. Quand, en son Fils, il vit notre vie d’hommes limités, il ne fait pas semblant. Il va jusqu’au bout, jusqu’à ce passage de la dernière limite qu’est la mort. C’est pourquoi l’on dit que Jésus est mort « une fois pour toutes ». Ce « jusqu’au bout » montre combien l’amour de Dieu est pour nous sans limites. Ce qui a vraiment lieu cette fois-là vaut une fois pour toutes : Dieu est toujours ainsi, celui qui ne retient rien et donne tout pour l’homme.


IL EST DESCENDU AUX ENFERS.


Attention à la confusion possible « les enfers » dont il s’agit ici représentent, pour les premiers chrétiens, le « lieu » où les morts attendent le salut définitif, et non pas « l’enfer » qui représente la punition des méchants. Parler de la « descente aux enfers » de Jésus, avant sa « montée au ciel », a une portée considérable. L’image indique que la mort de Jésus et sa résurrection sauvent non seulement ceux qui vivent après lui, mais aussi ceux qui l’ont précédé. Ce qui vaut en un point du temps, vaut pour tous les temps, pour une humanité qui est solidaire dans le péché mais davantage encore, grâce au Christ, dans le salut.


IL EST RESSUSCITÉ


Avec la proclamation de la résurrection de Jésus, nous sommes au cœur de la foi chrétienne. Mais, la plupart du temps, beaucoup d’images ou de représentations viennent brouiller notre compréhension.
Ainsi, par exemple, des milliers de peintures font ce que les évangiles eux-mêmes ne font pas : elles représentent Jésus en train de ressusciter. Or, la résurrection de Jésus n’est pas représentable. Certes, la résurrection advient en un point donné du temps. Mais Jésus partageant alors avec son humanité l’éternité de Dieu, sa résurrection devient contemporaine de tous les temps. Une image ne peut dire cela. C’est pourquoi les évangiles se contentent de donner seulement deux sortes de récits : ceux qui témoignent d’apparitions, et ceux qui font état du tombeau vide.
De quoi s’agit-il ? Les apôtres et les disciples témoignent de ceci : Jésus, qui est mort et a été enseveli, voici qu’il est vivant ! Il se fait reconnaître : c’est bien lui, c’est bien le même qui a été crucifié. Les récits d’apparition sont en quelque sorte, pour cette génération qui a eu le privilège de le connaître avant sa mort, des « vérifications d’identité ». C’est pourquoi, tant qu’ils n’ont pas réalisé cela, Jésus ressuscité se fait reconnaître ainsi par ceux qui seront ensuite les seuls à même d’en témoigner pour toutes les autres générations. Puis, quand c’est acquis, il n’a plus besoin de le faire. Pourtant, ce Jésus, qui est bien le même, est en même temps autre. Il est passé maintenant en Dieu, avec toute son humanité, ce qui ne se laisse pas imaginer.
« Il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures ». Cette formule renvoie à un passage du prophète Osée (6,2) : « Au bout de deux jours il nous aura rendu la vie, au troisième jour il nous aura relevés et nous vivrons en sa présence ».


Pourquoi les évangiles ont-ils privilégié, parmi d’autres, le langage de la « résurrection » ?


C’est que ce mot arrive à dire plusieurs choses à la fois. Il y a le préfixe « re- », qui signifie « nouveau », et « -surrection », qui dit l’acte de se mettre debout, de se relever. Cela permet d’exprimer, pour nous qui ne pouvons penser les choses qu’à l’intérieur de l’espace et du temps, le continu et le discontinu dans la résurrection. Le fait que c’est bien Jésus, transfiguré ; qu’il se produit du neuf, pour lui et pour nous, mais qu’il s’agit toujours bien et encore de l’humanité, la sienne et la nôtre, relevée par l’action de Dieu. « Re » montre bien qu’il y a avant et après la mort ; « -surrection » montre le passage de bas en haut, pour l’homme créé pour être, à la fin, debout, libre, guéri et vivant, les yeux tournés vers le ciel et l’horizon.


Il est monté aux cieux


L’Ascension, c’est aussi important que Noël. Noël présente le Fils de Dieu fait homme, « descendu » sur notre terre, si l’on veut faire la symétrie avec l’expression « monté au ciel ». À Noël, on ne voit qu’un enfant que Marie tient dans ses bras, et c’est son fils, et pourtant c’est le Fils de Dieu. Il faut maintenant regarder à l’autre bout de la vie de Jésus, au-delà de sa mort. Ce qui s’y passe est si dense et riche qu’il n’y a pas moins de trois fêtes dans l’Église, pour qu’à travers ce prisme l’intense lumière qui en résulte laisse voir trois des couleurs de l’arc-en-ciel : Pâques : la résurrection ; l’Ascension ; la Pentecôte.
« Il est monté aux cieux ». Le Credo ajoute : « Il est assis à la droite du Père » : l’image montre cet homme Jésus, glorifié - comme le fils du roi assis à la droite du roi. On parle du ciel ou il est « monté » (selon la symbolique du haut et du bas, comme pour la résurrection, pour le corps de l’homme qui est un être debout). Dans cette image on ne voit plus que Dieu. Après l’Ascension, c’est définitif, toucher à Dieu c’est toucher à l’homme, s’occuper de l’homme, c’est s’occuper de Dieu. Nous ne verrons plus d’humain pécheur ou en détresse, sans penser à la vie divine « glorifiée », à la vie transfigurée qui lui est promise comme à tout homme.
Que Jésus soit « monté aux cieux » ne signifie pas que nous soyons désormais seuls. L’Esprit de Pentecôte est, tout au contraire, envoyé pour le rappeler sans cesse, et pour que cela s’inscrive dans nos comportements : l’avenir est ouvert à partir de Jésus dont l’humanité aboutit en Dieu, et qui entraîne tous les hommes à sa suite.


JE CROIS EN L’ESPRIT SAINT DANS L’ÉGLISE


Telle est la formulation des plus anciens Credos. Elle disait bien que l’on ne croit pas à l’Église comme à Dieu, mais à l’action de l’Esprit de Dieu dans l’Église et pour le salut du monde. Cela empêche d’idolâtrer l’Église. Cela dit aussi sa nécessité absolue, comme « sacrement », c’est-à-dire pour donner le signe effectif, dans la réalité concrète, de l’amour de Dieu pour les hommes. Quant à Dieu comme Esprit saint, on le connaît à ce qu’il fait : une Église qui reçoit comme don et comme tâche d’être une, sainte, catholique et apostolique. L’Esprit réalise aussi la « communion des saints », la « rémission des péchés », la « résurrection de la chair », la « vie éternelle ».


JE CROIS EN L’ÉGLISE UNE, SAINTE, CATHOLIQUE ET APOSTOLIQUE


La vie de l’Église, c’est un Souffle, celui de Jésus, celui de Dieu. Elle n’est pas une citadelle dans le monde, mais le groupe dynamique des disciples de Jésus, pour que le monde tout entier parvienne au Royaume de Dieu, au salut que Dieu désire pour tous.
Sa tâche propre, c’est de donner, dès à présent, corps et visibilité à ce Royaume qui vient, à partir de Jésus ressuscité. Quand les chrétiens se disent ces choses, ils utilisent trois images complémentaires : ils parlent de l’Église comme Peuple de Dieu, comme Corps du Christ, comme Temple de l’Esprit. Ce sont des mots très grands, mais qui ont à se traduire en réalités concrètes.
Dans le Credo, rien n’est dit de l’étonnante diversité de ce que fait l’Église, de ses sacrements, des rôles et ministères (d’évêque, de prêtre, de diacre), de la vie religieuse, de la charité quotidienne. Rien n’est dit rien non plus de l’extrême diversité de l’ensemble des « fidèles du Christ ». Mais si l’on n’a pas le détail de la carte et de tous les chemins possibles (d’autant qu’il s’en invente sans cesse de nouveaux), par contre on a la boussole : l’horizon est donné.
Cet horizon est décrit par ce que l’on appelle les quatre « notes » de l’Église : une, sainte, catholique et apostolique. Quatre réalités qui sont en même temps des dons de Dieu et des tâches, une mission, en quelque sorte l’équivalent des « Béatitudes » dans le Sermon sur la Montagne. Heureuse l’Église quand elle devient toujours davantage ce qu’elle doit être, une, sainte, catholique et apostolique. C’est comme dans la vie : enfants de Dieu, nous le sommes, mais il faut sans cesse le devenir davantage.
Heureuse l’Église quand elle correspond au don et à la vocation que Dieu lui fait d’être une. Et quel malheur quand elle est divisée ! Car son rôle est de donner à voir, comme par anticipation, ce que cela change quand les hommes sont réconciliés...
Heureuse l’Église, sainte, parce que c’est ainsi que Dieu la voit et l’aime, alors qu’elle est faite de pécheurs. Une Église qui n’est pas une assemblée de purs et de parfaits, mais ce cortège d’éclopés qui ne renoncent pas à leur libération à la suite du Christ. Sainte Église de pécheurs toujours à convertir, mais assurée de ce regard et du pardon de Dieu, à partager sans cesse, en ne renonçant pas à reconstruire ce que le péché démolit, en elle et autour d’elle.
Heureuse l’Église, qui est et doit être vraiment catholique, ce qui veut dire, en traduisant le mot grec, universelle. Une Église ouverte à tout homme et à tout l’homme, une Église qui rappelle la solidarité salutaire de l’espèce tout entière, que rend possible l’amour inséparable de Dieu et de l’homme. Et quel malheur si l’Église se rétrécit, se ferme, ou prend peur !
Heureuse l’Église quand elle est vraiment apostolique, c’est-à-dire fidèle à la mémoire et à l’enseignement des apôtres. Et cela sur toute la ligne du temps et vers l’éternité, dans sa mémoire et dans son projet. Apostolique, parce qu’appuyée sur le roc de la foi des apôtres. Apostolique aussi parce que missionnaire, annonçant l’Évangile, la joie que cela donne d’aimer, de croire et d’espérer, en se laissant animer par le Souffle même de Dieu.


Je crois à la communion des saints


Cette expression a deux sens principaux, reliés l’un à l’autre. À l’origine, il s’agit de la communion à l’eucharistie, que l’on portait à la maison aux chrétiens qui n’avaient pu assister à la messe. (Où l’on voit d’ailleurs que les chrétiens n’hésitaient pas à s’appeler entre eux « les saints », avec une belle audace).
Mais, comme pour tous les sacrements, l’eucharistie n’est pas seulement un don reçu, ici celui de la communion avec Dieu et entre les hommes. Impossible d’être chrétiens sans devenir responsables des signes partagés. La messe continue après la messe, dans la vie quotidienne. Ce qui a été reçu, il faut aller et le donner à voir dans le concret : partager le pain, le pardon, et les choses de la vie, pour que celle-ci grandisse.
Moyennant quoi, un second sens se greffe ici sur la communion des saints : il n’y a rien du bien que nous faisons, ou des épreuves que nous endurons, qui ne puisse servir à la croissance du Royaume de Dieu. La communion des saints renvoie alors à la solidarité de toute l’Église, celle des morts et des vivants, et, par-là, à la solidarité de toute l’humanité à travers son histoire. Ce que nous faisons de notre vie importe à tous. Avec le Christ, nous ne sommes pas solitaires, mais solidaires.


Je crois à la rémission des péchés


L’homme vit de pain et de pardon. Voilà ce que rappelle le Credo. Mais le pardon est bien dévalué, si l’on n’en voit pas la dimension profonde. La conception étriquée d’un salut individualiste (Dieu et moi sur une île) empêche parfois de le réaliser. Une conception du pardon, bien étroite aussi, où celui qui pardonne ne serait que condescendant, tandis que le pardonné ne chercherait qu’à guérir sa culpabilité ou sa mauvaise conscience pour retrouver une image acceptable de lui-même.
Tandis que le pardon est tout autre, quand il ressemble à celui que Dieu donne sans cesse. Dieu n’est pas un juge d’application des peines. Il est Père et, comme un père, comment pourrait-il rejeter ou condamner ses enfants ? Il sait bien ce qui nous échappe.
En même temps, il est exigeant. Comment ne pas voir que la Bible n’hésite pas à parler d’une « colère de Dieu » chaque fois qui l’homme est humilié et défiguré. Le pardon de Dieu, en fait, est radical. C’est un acte profondément créateur, ou plutôt re-créateur. Ce que Dieu considère, dans le pécheur, ce n’est pas le péché qui l’enferme et qui l’abîme, c’est ce qui est de nouveau possible ensemble avec lui, en changeant de route.
Cette expérience, nous la faisons entre humains : pardonner, c’est regarder l’autre différemment, sans l’enfermer dans le mal qu’il nous fait. Quand nous nous pardonnons mutuellement, comme Dieu le fait, quel souffle est retrouvé, comme la mémoire est guérie et l’avenir de nouveau ouvert !
La réconciliation redonne la possibilité de repartir, de se retrousser les manches et de reconstruire.
C’est ainsi, avec le regard de Jésus sur les hommes, en s’appuyant sur sa manière de pardonner jusqu’au bout, ce qui fait voir le cœur même de Dieu, que le chrétien croit à la rémission des péchés.


JE CROIS À LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR, À LA VIE ÉTERNELLE


Cette formule est celle du Symbole des Apôtres. Le symbole de Nicée-Constantinople dit « J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir ». Les deux formulations se précisent mutuellement et nous invitent à modifier quelques idées préconçues.
La foi chrétienne n’est pas à confondre avec l’attente imminente d’une catastrophe apocalyptique. Ce n’est pas non plus une utopie vague, qui ne serait pas fondée. C’est une espérance active, appuyée sur la fidélité de Dieu, sur son lien définitif avec notre humanité en Jésus, sur le travail de l’Esprit d’amour dans l’Église et dans le monde, dans le cœur des hommes.
Cette espérance parle de vie du monde à venir (ou de vie éternelle) à laquelle chacun est appelé à accéder par une résurrection, ce qui renvoie aussitôt à celle de Jésus, pour comprendre ce qui nous est promis.


• Résurrection « des morts », et résurrection « de la chair »


La « résurrection des morts ». La mort a été vaincue par Jésus et, comme lui, nous ressusciterons en vivant à sa manière et en nous confiant pour le reste à la Parole de Dieu, qui tient ses promesses.
La résurrection « de la chair ». Il ne s’agit pas d’une quelconque immortalité de l’âme, même s’il ne s’agit pas non plus d’une simple réanimation où notre vie corporelle recommencerait sans plus, comme avant.
Quand un homme de la Bible dit « chair », il veut dire : « tout l’homme ». Et, quand nous disons corps, nous ne pouvons oublier combien nous sommes, tout ensemble, charnel et spirituel, indissolublement. Le corps c’est aussi, bien au-delà d’une organisation d’atomes dans la matière, ce qui, à la fois, nous relie, nous permet de communiquer, et nous identifie, nous distingue les uns des autres comme uniques.


• Deux aspects importants


À partir de là, s’éclairent deux aspects de la résurrection qui nous est promise à la suite de Jésus-Christ. D’abord notre vie présente, ce que nous sommes tout entier (hormis le péché ou nos manques d’amour) est comme le matériau de la vie éternelle. Dès à présent, cette vie qui ne passera pas est commencée, même s’il faut rester sobre en imagination pour se la représenter. Quand on regarde une graine, il n’y pas de rapport entre sa forme et celle de la plante ou de l’arbre qui en sortira ; mais sans cette graine, rien ne saurait pousser.
Second aspect : contrairement à certaines religiosités orientales, la foi chrétienne ne parle pas de la vie éternelle comme d’une sorte de perdition de soi dans l’absolu, comme une goutte d’eau s’absorbe dans la mer. Chacun et chacune de nous compte personnellement aux yeux de Dieu : nous sommes solidaires et uniques en même temps. Cela veut dire que tout homme reste lui-même et relié à tous dans le monde à venir, purifié de ce qui l’empêchait de vivre avec et comme Dieu. Mais rien de ce qui a fait la joie profonde et les liens d’amour en nos vies ne saurait se perdre. Tout amour véritable, c’est-à-dire non pas seulement le désir, mais le don de soi, vient de Dieu et retourne à Dieu. À l’horizon de la foi, il y a le « banquet céleste », la demeure où toute la famille humaine est rassemblée en Dieu.
Sobriété de l’imagination et certitude de l’espérance, voilà les deux mots d’ordre du croyant, invité à accueillir le Royaume de Dieu en se retroussant les manches. Plutôt que d’imaginer ou de parler du paradis, il faut commencer à le vivre et en don¬ner à voir quelque chose, en aimant concrètement et quotidiennement.


La fabuleuse histoire d’un mot: le filioque

La querelle du filioque. Une tempête qui va durer près d’un demi-siècle, pour un mot. Il apparaît, semble-t-il, au VIe siècle, en Espagne. On veut marquer avec force que l’Esprit ne procède pas seulement du Père, mais du Père et du Fils. Le texte est « Credo in Spiritum Sanctum qui ex Patre {fïlioque} procedit ». II s’agit simplement de prouver l’hostilité des évêques espagnols à l’arianisme, pourtant sur le déclin.
Le filioque passe assez rapidement en France, puis en Allemagne. Charlemagne commet la maladresse de le brandir pour prouver aux Grecs qu’ils sont quelque peu hérétiques. Les papes boudent (et cette fois, ils n’ont peut-être pas tort) : à quoi bon modifier le texte du Credo pour y ajouter un mot qui ne change pas le moins du monde la signification globale ? Les querelles concernant la Trinité ne sont-elles pas achevées ?
Pourtant, les missionnaires romains en Bulgarie utilisent le terme controversé, il n’en fallait pas davantage pour que Constantinople change de ton : la Bulgarie faisait partie des territoires qu’elle voulait contrôler. L’usage du filioque semblait une oriflamme romaine plantée dans une terre revendiquée par Byzance. La querelle théologique allait, en partie, dissimuler un affrontement géopolitique.
Les Byzantins affirment avec force leur conviction. Ils font remarquer que le Credo a été rédigé et promulgué par un concile œcuménique (les orthodoxes d’aujourd’hui ne reconnaissent d’ailleurs que les sept premiers conciles). Seule une réunion de même nature peut donc décider l’ajout ou le retrait d’un mot ; d’autant que le filioque n’appartient pas à la tradition.
Photius (820-895) précise que cet ajout est théologiquement erroné. Dans l’ouvrage qu’il publie, Mystologie du Saint-Esprit, il affirme que le filioque modifie l’équilibre entre unité et diversité, qui constitue le mystère même de la Trinité. En vérité, Latins et Grecs étaient bien moins opposés qu’ils ne l’affirmaient. Les premiers insistaient sur l’essence, la substance, principe unique de la Trinité ; les seconds partaient de la distinction entre les trois Personnes (hypostases), fondement premier de l’unité trinitaire. Les uns cherchaient à se démarquer de toute résurgence de l’arianisme, les autres estimaient que le filioque menaçait l’équilibre intellectuel du dogme trinitaire, en insistant sur une philosophie de l’essence qui brouillait la cohérence dogmatique.
Ce désaccord va progressivement s’ancrer dans les mentalités. Aujourd’hui encore, les querelles du filioque partagent catholicisme et orthodoxie, à ceci près que la levée, par Paul VI et Athénagoras, des excommunications respectives diminue la vigueur de la querelle.

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