Homélie du P. Cristinel ANDREI
28 mai 2012Vous trouverez ici l'homélie prononcée par le P; Cristinel lors de la messe de l'Ascension dans le cadre de la mission paroissiale.
Aujourd’hui « le Christ parvenu là-haut reste encore avec nous. Tout en restant ici-bas, nous sommes déjà avec lui », nous rassure saint Augustin. « Si nous sommes… retenus ici-bas… suivons le Seigneur à pas d’amour, par le cœur, là où nous croyons qu’il est monté par le corps » nous encourage un autre Père de l’Eglise, saint Grégoire le Grand.
Cette Solennité est pour chacun d’entre nous comme il est des matins où tout paraît dans la clarté. Le goût de la vie est en nous. Pour le dire nous employons des images – nous disons que nous nous sentons léger, libre de la pesanteur. L’espace est ouvert devant nous – nous avons l’élan pour aller devant, plus loin, plus haut. Nous goûtons ces heures avec d’autant plus de joie que nous avons connu des heures pénibles, lourdes et pesantes, enfoncées dans la tristesse. Ces images contrastées se complètent pour dire notre expérience. « Monter » ou « s’élever » disent la santé du corps, l’allégresse du cœur, la marche de l’intelligence, l’enthousiasme de la foi à l’encontre de l’inertie, de la pesanteur qui figent et paralysent le corps, l’esprit, le cœur ou le goût de vivre. Ainsi nous comprenons pourquoi la liturgie reprend les images de la Bible qui emploie le langage de l’ascension pour dire la victoire du Christ sur la mort. Il ne s’agit pas d’une montée dans les nuages, mais d’exprimer que Jésus a atteint sa plénitude d’humanité. Comme le souligne la préface eucharistique, Jésus « ne s’évade pas de la condition humaine ». Il devient enfin ce qu’il est : l’homme surprenant, l’homme accompli à la mesure de ce que Dieu veut pour l’humanité depuis les origines. Non, il ne s’est pas évadé ! Jésus ressuscité est toujours cet être de chair et de sang ; il est toujours cet homme d’émotions et de convictions, d’amour et de compréhension. Mais tout cela est arrivé à son accomplissement : il entre dans la gloire, il entre dans la joie ; il est vivant à jamais.
Ce qui importe aujourd’hui est de relever qu’il accomplit sa pâque, ce passage ultime en présence de ses disciples. Tout au long de sa vie publique, Jésus était à la tête du groupe d’hommes et de femmes, ses disciples, qui lui donnaient le titre de maître, tandis que les foules l’appelaient Seigneur. Il l’était, mais seulement pour quelques-uns. Or la volonté du Père est davantage ; c’est qu’il prenne la tête de toute l’humanité et c’est ce qu’exprime le terme « ascension ». Notre expérience de la parole nous l’apprend. Pour parler à quelques-uns, il suffit de rester au même niveau du sol, mais quand le groupe est plus important, il faut monter des marches, aller sur une estrade, monter en chaire. Par cette hauteur, celui qui parle peut s’adresser à tous – à ceux qui sont tout proche comme à ceux qui sont bien loin ! L’image de l’ascension permet de dire que pour être à tous – prendre la tête de toute l’humanité – Jésus doit prendre de la hauteur. Pour cette raison, les récits de la Bible nous disent que lors de la dernière rencontre de Jésus avec les siens, Jésus les a invités à le regarder monter. Saint Matthieu (28, 20) nous rapporte qu’en prenant congé, il les a envoyés porter la Bonne Nouvelle avec l’assurance d’être avec eux toujours. De même saint Luc dans les Actes (2, 10) nous rapporte que deux hommes en vêtements blancs – des envoyés de Dieu – sont venus dire aux disciples de cesser de regarder les nuages et de se préparer à recevoir l’Esprit. L’Ecriture nous fait ainsi comprendre que le Christ ressuscité inaugure une nouvelle manière dont Dieu se rend présent à l’humanité. L’espérance nouvelle s’accomplira par le don de l’Esprit au jour de la Pentecôte et par la mission des apôtres. Le Christ inaugure l’accomplissement de la mission d’Israël de porter l’Evangile à toutes les nations.
Les envoyés ne sont pas chargés de construire en ce monde le royaume de Dieu à la place des puissances de la terre et de redonner vie au rêve du royaume terrestre d’Israël. Dieu ne se sert pas des apôtres pour prendre possession de l’univers et donner à son dessein une forme politique. Il fait ce don aux hommes pour « organiser le peuple saint et accomplir les tâches du ministère » (Ep 4, 12). L’organisation du peuple saint n’est pas la structuration politique du monde, mais la construction d’une famille dans laquelle s’exercent les charismes selon les dons de Dieu : apôtres, prophètes, missionnaires, pasteurs, et tous ceux qui sont envoyés pour que la Parole de Dieu soit annoncée, que le témoignage soit rendu à l’Évangile, que le dessein de Dieu s’accomplisse par la puissance du don de l’Esprit, et « que nous parvenions tous ensemble à l’état de l’homme parfait, à la plénitude de la stature du Christ » (Ep 4, 13).
Ce qui nous est demandé aujourd’hui c’est de faire advenir le Règne de Dieu, chacun à notre place. Puisque Jésus a pris de la hauteur, il peut être avec tous, avec nous, quel que soit notre enracinement, notre engagement, notre situation familiale ou professionnelle. Oui, un même amour, une même présence. Ce même amour peut nous élever avec le Christ dans le mouvement de son ascension. Là où il est, nous sommes déjà en espérance et là où nous sommes, il est avec nous. Il est notre prochain le plus proche et le plus discret, le plus présent et le moins envahissant, le plus disponible et le plus aimant. C’est lui qui nous rassemble autant qu’il nous envoie, à cause de l’évangile : Allez de l’avant ! Allez partout ; je suis avec vous ! Depuis sa « montée » Jésus ne cesse de nous précéder sur la terre, là où les hommes agissent, enseignent, souffrent, mènent leur vie d’homme. Il nous attend là jusqu’au bout du monde pour annoncer que Dieu est notre Père, un Père qui nous aime ! Oui, aller jusqu’au bout du monde, sans oublier que le bout du monde commence à la maison du voisin, devant l’étalage du commerçant ou à la porte de l’école.
Pratiquement, aller de l’avant, c’est être ardent comme le Christ et avec lui. Sommes-nous des ardents selon le Christ et avec Lui ? À nous d’y réfléchir. De toute façon, nous le pouvons : être des ardents qui avançons, qui montons, car le dynamisme vient de l’Esprit de Dieu, l’Esprit Saint que Jésus avait promis d’envoyer dès qu’il serait auprès de son Père… et cet Esprit, nous l’avons reçu. Aussi, en cette fête de l’Ascension, l’Église nous convie à la persévérance et au courage, car Jésus, l’homme le plus ardent qui fut, parvenu là-haut reste encore avec nous. Tout en restant ici-bas, nous sommes déjà avec lui. Il nous faut donc suivre notre Seigneur à pas d’amour, et aller joyeusement partout où il nous envoie. Amen.